Bordeaux au XVIII siecle

La Façade des quais

Dès la fin du XVIIe siècle, les Jurats de Bordeaux se préoccupaient d’embellir la face Est de la ville tournée vers le fleuve, afin de donner aux voyageurs une belle impression. Appuyées au mur de ville, on ne voyait alors que des boutiques en pierres ou des baraques en bois. Ce désir ne sera concrétisé que vers les années 1765 grâce à la ténacité des intendants Boucher et de Tourny, mais aussi grâce au génie des architectes Jacques Gabriel et Jacques-Ange Gabriel, son fils. Envoyé en mission par Louis XV et ses bureaux, Jacques Gabriel, Premier architecte du Roi, débarque à Bordeaux le 19 mai 1729. Il est séduit par la beauté de la courbe du fleuve, par le climat, la douceur de vivre et l’activité commerciale ; Claude Boucher écrit au Ministre : " Monsieur Gabriel a un vaste projet... s’il peut être exécuté certainement ce sera le plus beau morceau qu’il y ait en Europe ". Et les travaux gigantesques commencent. La Place Royale est inaugurée triomphalement en 1755 avec ses deux pavillons en bordure des quais : la Ferme générale et la Bourse du commerce. C’est une architecture à la française avec au rez-de-chaussée de hautes arcades qui englobent l’entresol. Puis deux étages, un attique, un entablement et des combles brisés recouverts d’ardoises. L’architecture de la Place Royale détermina celle des maisons de la façade des quais ; ainsi, sur plus d’un kilomètre, on observe un alignement homogène d’arcades, d’étages, de toitures d’ardoises d’où s’échappent de sveltes souches de cheminées de pierres. Les propriétaires actuels ont commencé les nettoyages des façades pour remettre en honneur la belle pierre dorée du pays qui reflète si joliment le soleil du matin. Les architectes qui élevèrent les maisons particulières des quais furent Bonfin, Chevay, Moulinié, Richefort, Alary. Les adjudicataires des terrains qui ont financé la construction des quelques 80 maisons ont souvent été des négociants bordelais. Les habitants de ces maisons étaient souvent des locataires, petites gens tenant boutique ou vivant des métiers du port, dont on voit les portraits pittoresques sculptés dans la pierre.

Le Palais Rohan

Tout comme les intendants, les prélats se sont conduits au XVIIIe siècle en véritables spéculateurs et urbanistes. En édifiant leurs demeures, parfois même leurs palais, ils ont créé de nouveaux quartiers et transformé la physionomie de la ville. Devenu archevêque de Bordeaux en 1771, Ferdinand-Maximilien Mériadec de Rohan entreprit la reconstruction complète du vieil archevêché qui dès le Moyen-Age occupait l’angle nord-ouest de la cathédrale. Des travaux de restauration avaient été entrepris un siècle auparavant par le cardinal François de Sourdis. Dès 1771, c’est à Joseph Etienne qu’est confiée l’étude du palais et des lotissements. La vente des terrains autour de l’archevêché et les revenus du diocèse allaient aider à sa construction. Mécontent d’Etienne, l’archevêque le remplace par Bonfin, architecte de la ville, qui termine les travaux avec l’entrepreneur Poirier. Alors que les frais de la construction ne cessent de croître, l’archevêque est contraint d’engager sa propre fortune. Il laisse sa place à Mgr Champion de Cicé dès 1781. Le palais est enfin achevé vers 1784. Scandé par des colonnes, le mur de clôture offre au premier abord un décor d’arcatures qui n’est pas sans rappeler les modèles proposés vers 1770 par l’architecte de Neufforge. Sur les deux côtés de la cour, des bâtiments bas relient le corps de logis à une colonnade. Dans le fond, une façade plate animée d’un avant-corps central s’impose par sa rigueur et sa sécheresse. La façade postérieure, exactement semblable, est prolongée par deux pavillons bas à balustres avec des baies surmontées de guirlandes. Cette sécheresse dans les lignes et la composition s’expliquent par la présence de Victor Louis à Bordeaux, qui à la même époque édifiait le Grand-Théâtre. Malgré de nombreuses modifications, l’intérieur du palais a conservé son grand escalier d’honneur dessiné par Bonfin, une suite de salons au rez-de-chaussée avec boiseries de tilleul sculptées par Cabirol et une salle à manger décorée de figures en trompe-l’œil par Lacour et Beringazo. Deux décors, l’un pompéien, l’autre dans le goût de la Renaissance antiquisante, traduisent bien le raffinement des intérieurs bordelais de cette époque.

Le Triangle, Quartier des Grands Hommes

Le quartier des "Grands Hommes" est sans doute mieux connu des Bordelais sous le nom de "Triangle", forme délimitée par les Allées de Tourny, le cours Clemenceau et le cours de l’Intendance. Son urbanisme remonte aux années révolutionnaires. En 1789, ce n’était guère qu’un espace de couvents : les Récollets et les Jacobins dont l’église Saint-Dominique (Notre Dame depuis le Concordat) avait été construite par Duplessy-Michel (1684-1707). Bordeaux affronta la Révolution avec calme et, après la réquisition des biens du clergé, se trouvait en possession de vastes terrains vacants qu’elle voulut utiliser pour remodeler le quartier. Spontanément, en juillet 1790, des architectes (Laclotte, Bonfin et Lhôte) proposèrent leurs projets mais aucun d’eux ne l’emporta. En revanche, c'est l'architecte Chalifour qui en proposant une compilation, entreprit les travaux : une place circulaire d’où rayonnaient des voies. Les travaux (ventes, démolitions des bâtiments conventuels existants, percement des rues) commencèrent dès 1792, furent brusquement interrompus par la Terreur (1793-94) et ne reprirent qu'en 1797. Au même moment à Paris, l’église Sainte-Geneviève devenait le Panthéon des Grands Hommes. A Bordeaux on choisit les noms des grands esprits (Montesquieu, Rousseau, Voltaire) ayant inspiré la Révolution Française. Peu d’édifices furent construits à ce moment-là. Signalons l’Hôtel Meyer, construit en 1796 pour le Consul de Hambourg à Bordeaux et le Théâtre Français (1800) par Dufart.